2016-the-color-line-afficheLongtemps ignorée aux Etats-Unis, inconnue en France, la création plastique africaine-américaine reflète le destin d’une communauté qui a connu l’exode et la ségrégation. Au Quai Branly, une exposition remarquable la met en lumière.

« Coloured » : c’est l’adjectif qu’il était fréquent de lire un peu partout dans l’espace public, il y a peu encore, aux Etats-Unis. Il désignait, dans les bus, les trains, les restaurants, les salles d’attente ou les toilettes, des lieux destinés spécifiquement aux Africains-Américains, pour qu’en aucun cas ils ne se mélangent aux Américains blancs. Des lois encadraient strictement ce racisme institutionnalisé, aux relents d’apartheid et de nazisme. Alors que l’esclavage avait été aboli en 1865, persistait une frontière bien réelle, dans l’esprit des gens : « The color line ».

Des œuvres récemment redécouvertes
De cette expression évoquant la ségrégation à l’encontre de la communauté noire, le musée du Quai Branly a fait le titre de sa nouvelle exposition (jusqu’au 15 janvier 2017), une plongée dans la création plastique africaine-américaine jusqu’à aujourd’hui, soit « 150 ans d’histoire de l’art restés totalement inconnus en France à ce jour », explique Daniel Soutif, son commissaire. Une création qui est longtemps restée tout autant ignorée aux Etats-Unis, où le milieu officiel de l’art ne pouvait simplement envisager son existence… mais qui, ces dix dernières années, est devenue le nec plus ultra des musées et collectionneurs ! Lesquels se jalousent à ce point les œuvres contemporaines d’un David Hammons ou d’une Ellen Gallagher – comme celles, plus historiques, de Jacob Lawrence ou d’Aaron Douglas – qu’il n’a pas été simple, pour le Quai Branly, d’obtenir leur prêt…

« Au-delà de l’effet de mode, les Américains ont pris conscience des chefs-d’œuvre dont ce patrimoine regorgeait, et de la place qui leur revenait aux côtés des plus grands », poursuit Daniel Soutif. Ainsi, ce tableautin intitulé The Execution, signé Bob Thompson. Il représente l’une de ces odieuses scènes de lynchage, dont quelque quatre mille Noirs furent victimes aux Etats-Unis pendant près d’un siècle, entre 1880 et 1980. Thompson (1937-1966) ne se contente pas de figurer une silhouette noire pendue à un arbre, et la foule, à ses pieds, venue assister à son supplice (les lynchages étaient si populaires dans le sud-est des Etats-Unis que la presse les annonçait à l’avance, afin qu’un maximum de Blancs puissent se rendre au spectacle). Il procède à une simplification des formes et à un usage des couleurs en aplat qui, sans contexte, s’inscrivent dans le courant de Gauguin et des Nabis.

Symbolisme et humour désespéré
Idem pour les huiles de Jacob Lawrence (1917-2000), dont l’exposition du Quai Branly présente un joli aperçu (même si aucun des soixante petits tableaux de la superbe « Migration series », qui représente l’exode massif des Africains-Américains du Sud rural vers le Nord urbain des Etats-Unis, au lendemain de la Première Guerre mondiale, n’a pu être présenté). Un syncrétisme, un sens de la narration mais aussi du symbolisme, le tout teinté d’un humour désespéré, qui le placent d’emblée aux côtés des plus grands. On songe ainsi souvent à son compatriote Edward Hopper(voir par exemple le petit tableau Pool Players, Les joueurs de billard), pourtant issu d’un tout autre milieu social, et dont l’œuvre parle de tout autres gens : les Blancs et leur ennui de vivre.

Et justement, c’est peut-être ce dont fait prendre conscience The Color Line, avec une riche documentation à l’appui : si les qualités esthétiques des œuvres réalisées par des artistes africains-américains sont universelles, les thèmes abordés, eux, sont très circonstanciés. C’est la tragique histoire d’une communauté qui nous est racontée. Une histoire d’autant plus forte qu’elle n’avait jamais eu voix au chapitre jusqu’à il y a peu. Et qui s’en trouve relatée avec d’autant plus d’expressivité.

The color line, les artistes africains-américains et la ségrégation, Musée du quai Branly, jusqu’au 15 janvier 2017 – www.quaibranly.fr

Source : http://www.telerama.fr/

“The color line” au Quai Branly

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