Le couturier Karl Lagerfeld, directeur artistique de Chanel, est mort.

karl lagerfeld2Ambassadeur de l’élégance à la française à la silhouette mondialement connue, le créateur de mode Karl Lagerfeld est mort mardi. L’inventeur des défilés-spectacles démesurés était aussi dessinateur, photographe et éditeur. Il était depuis 1983 le directeur artistique de la maison Chanel.

Le 22 janvier dernier, il était absent du traditionnel défilé Chanel au Grand Palais, en pleine Fashion Week parisienne. Invoquant la “fatigue”, il n’était pas venu saluer le public, comme il avait coutume de le faire.

Karl Lagerfeld est né à Hambourg dans le nord de l’Allemagne. Il grandit auprès de sa mère, Elisabeth Lagerfeld, dont il est le portrait craché. C’est avec elle qu’il s’installe à Paris, en 1952. Après ses études, il décroche le premier prix du “Secrétariat international de la laine – en dessinant un manteau jaune jonquille, décolleté dans le dos – ex aequo avec un certain… Yves Saint Laurent. Il devient dans la foulée l’assistant de Pierre Balmain, avant d’être affecté à la direction artistique de Jean Patou en 1957, puis de Chloé de 1963 à 1984, mais aussi de la ligne prêt-à-porter Fendi, où il exerce depuis 1965.

 

Couturier jet-set

Entre Paris et Rome, Karl Lagerfeld participe activement à la naissance d’une des plus grandes révolutions de la mode : le prêt-à-porter. Avec Fendi, il démarre aussi une histoire qui dure depuis plus d’un demi-siècle, une longévité unique dans la mode et qui, au train où vont les changements de designers aujourd’hui, ne risque pas d’être battue. Dans ces années 1960 et 1970 libres et permissives, le personnage montre un visage plus humain que jamais, épicurien mais paradoxal aussi : Lagerfeld est alors un couturier jet-set à la retenue toute calviniste.

karl3Il passe ses étés sixties à Saint-Tropez avec une bande de fêtards haut en couleur, celle de l’illustrateur américain Lopez dont il admire le trait et la joie de vivre. Pendant que ses amis s’abîment dans les nuits folles de la Côte d’Azur, lui dort. Le jour, il se livre à ses rituels à lui : il bronze, boit du Coca-Cola et pratique l’haltérophilie. A la plage, on le croise en maillot de bain années 1920, anachronique mais seyant sur son physique d’athlète. De cette époque, reste une photo de vacances surprenante dans laquelle on peine à reconnaître le personnage plus raide des années 2000. Les excès de l’époque, le couturier assure les avoir vus « derrière une vitre ».

Ce n’est pas le cas de celui qu’il rencontre en 1973 : Jacques de Bascher, qui restera pour la postérité son grand (unique ?) amour. Dandy sulfureux, noble aux origines troubles, noctambule racé et cultivé, il fascine, séduit le Tout-Paris des années 1970. De Bascher aussi s’est inventé un personnage mystérieux et sans doute moins morbide que certains l’ont décrit. Mais sa liaison avec Yves Saint Laurent provoquera la rupture des clans « Saint Laurent » et « Lagerfeld » ainsi que la colère revancharde de Pierre Bergé. Cette relation de dix-huit ans (elle s’achève à la mort de Jacques des suites du sida en 1989) reste un grand mystère de la saga Lagerfeld, qui en parle peu.

Il accepte tout de même de s’exprimer sur le sujet pour la journaliste Marie Ottavi qui a signé en 2017 une biographie de Jacques de Bascher. Le couturier y assure n’avoir jamais eu de relations physiques avec son compagnon et en fait une description qui laisse soupçonner la complexité de leur lien : « Jacques de Bascher jeune, c’était le diable avec une tête de Garbo (…). Il s’habillait comme personne avant tout le monde. C’est la personne qui m’amusait le plus. Il était mon opposé. Il était aussi impossible, odieux. Il était parfait. Il a inspiré des jalousies incroyables. »

Avec Karl Lagerfeld, on peut être dans la franchise, mais jamais dans le pathos, il a le sentimentalisme en horreur, et toujours cette distance infranchissable entre lui et le monde, même quand il s’agit d’amour. Après Jacques de Bascher, la vie « sentimentale » du couturier semble s’arrêter net, et c’est sans appel. Quand Paris Match lui demande, en 2015, pourquoi il n’a jamais refait sa vie après la disparition de son compagnon, il lance un lapidaire :
« Parce qu’il n’y avait rien à refaire. »

 

Dépoussiérer Chanel

karl lagerfeld1Nommé directeur artistique des collections Haute couture, prêt-à-porter et accessoires de Chanel en 1983, il sauve la luxueuse marque qui risquait pourtant de fermer. Il oeuvre à dépoussiérer la marque, fait signer un contrat d’exclusivité au mannequin Inès de La Fressange pour représenter la maison, remet au goût du jour les codes du style Coco Chanel (le tweed, le noir et blanc…). “J’ai gardé l’esprit Chanel, mais je lui ai donné un petit côté up to date”, explique-t-il à l’époque de son premier défilé. Stakhanoviste jusqu’au bout de ses ongles manucurés, il lance en parallèle, sa propre marque éponyme, en 1984. Les auteurs du livre Le monde selon Karl, compilation de ses meilleures citations, lui prêtent cette phrase: “Mon fond de commerce a toujours été de travailler plus que les autres pour leur montrer leur inutilité”.

Karl Lagerfeld tire de sa rencontre avec Andy Warhol dans les années 1960, de précieux enseignements: construire un personnage et une légende. Il accessoirise ainsi son look, adopte l’éventail, les lunettes fumées, le catogan, plus tard les cheveux poudrés, qui le rendent si reconnaissable. Son humour, sa culture, son sens de la répartie lui inspirent de savoureux et cruels aphorismes, qu’il lâche de son débit de mitraillette et qui deviennent aussi sa marque de fabrique (“Je pense que les tatouages sont horribles, c’est comme porter une robe Pucci à vie”, “Le régime est le seul jeu où l’on gagne quand on perd”…).

A l’aise derrière l’objectif, passionné par l’art et l’image, il réalise la plupart des campagnes publicitaires des collections qu’il créé. Plusieurs ouvrages documentent les diverses séries photo qu’il a réalisées pour des magazines ou des marques. A partir de 2012, il s’amuse à mettre en scène son chat Choupette, source d’inspiration, dans des publicités Shu Uemura ou Opel.

 

Equipe de France et gilet jaune

karl gilet jauneFin businessman, il a su avant capter l’évolution du secteur de la mode, qui s’industrialise au tournant des années 1990. Au cours de sa carrière, le couturier touche-à-tout s’amusera à relooker des bouteilles de Coca-Cola Light ou les timbres de La Poste, collaborera avec Optic 2000 ou encore la marque de chaussures Melissa et imaginera les costumes de scène de l’opéra de la Scala à Milan et de celui de Florence, du film Talons aiguilles de Pedro Almodovar ou encore les tenues de Madonna et Kylie Minogue.

On lui doit aussi le maillot de France de l’équipe de France de football de 2011. Sans oublier le désormais célèbre gilet jaune, qu’il promeut dans une campagne pour la sécurité routière en 2008 – sans avoir jamais voulu l’enfiler, l’accessoire a été photoshopé sur lui.

Insubmersible, il survit à toutes les modes, s’adapte à tout. En 2010, il publie un livre sur le régime entrepris au début des années 2000, grâce auquel il a pu perdre 42 kilos. Il affiche désormais une silhouette étique, qui lui permet de se glisser dans les costumes dessinés par Hedi Slimane pour Dior Hommes. En 2010, il est fait commandeur de la Légion d’honneur. Devenu une icône planétaire, il a même une poupée Barbie à son effigie depuis 2014.

Chaque année, lors de la Fashion Week à Paris, Chanel investit le Grand Palais pour un défilé plus spectaculaire à chaque fois. Une tour Eiffel gigantesque, une fusée, ou un casino, chaque décor est un événement. Cette année, la verrière du Grand Palais accueillait une plage. Mais il manquait l’essentiel.

 

Les fidèles

Autour de lui, il a rassemblé son cercle de fidèles : Virginie Viard, sa directrice de studio chez Chanel depuis un quart de siècle, Amanda Harlech, consultante anglaise au chic turbulent, Sébastien son garde du corps et mannequin, Eric Pfrunder, complice de trente-cinq ans et directeur de l’image pour Chanel. Pour le reste, même si tout le monde le voit régulièrement dans des émissions de télévision, il est rare de pouvoir vraiment approcher le couturier qui cultive sa solitude à la manière d’un Howard Hughes, mais parfaitement sain d’esprit. « C’est le comble du luxe, avouait-il en 2015 à Paris Match. La solitude vous pèse si vous n’êtes pas en bonne santé, si vous n’avez pas d’argent. Moi, je lutte pour être seul. Je n’ai jamais habité sous le même toit que quelqu’un. C’est une atteinte à la liberté. »

karl lagerfeldEn plus d’un personnage, Lagerfeld a créé tout un monde à la mesure de cette liberté chérie, un monde de discipline, d’ascèse où le couturier travaille à une cadence infernale. Il dessine le matin, toujours chez lui, des collections entières ou des caricatures pour le supplément mensuel du Frankfurter Allgemeine Zeitung. Il invente des mondes sans bouger, refuse d’intellectualiser son travail, « les meilleures idées me viennent en dormant, preuve que l’inconscient n’est pas si con », s’amuse-t-il. « C’est l’idée qu’on s’en fait » est une de ses expressions favorites tant la rectitude historique et, avec elle, le premier degré ne l’intéressent pas ; il préfère puiser dans les réserves culturelles de son cerveau et inventer.

Une fois extrait de ce tête-à-tête avec lui-même, Karl Lagerfeld s’astreint à des rythmes qui feraient défaillir des gens de la moitié de son âge : aller-retour dans la journée à Rome chez Fendi, séance de travail en soirée chez Chanel, campagne de publicité à shooter en nocturne chez lui, conférence à New York le lendemain, campagne Dior Homme à photographier dans la semaine… Cette boulimie apparemment insatiable fait partie de la légende Lagerfeld, elle va de pair avec un dégoût du passéisme et un goût pour la nouveauté qui pousse cet amoureux du papier à aussi collectionner les iPhones et autres iPad qui s’empilent sur sa table de travail avec son carnet à dessins et ses craies grasses de chez Shu Uemura (la marque de maquillage japonais) avec lesquelles il dessine.

Le Kaiser, qui n’a pas de descendance à part sa chatte Choupette, s’est constitué au fil des années une véritable famille d’«héritiers». Il a rejoint son grand amour, Jacques de Bascher, pour l’éternité. «Il n’y aura pas d’enterrement. Plutôt mourir», disait Karl dans Numéro, en 2018. Peu importe, son aura est immortelle.

 

Source :

http://madame.lefigaro.fr/style/karl-lagerfeld-le-couturier-de-chanel-est-mort-190219-163253

https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2019/02/19/le-couturier-karl-lagerfeld-directeur-artistique-de-chanel-est-mort_5425296_3382.html

https://www.bfmtv.com/culture/karl-lagerfeld-est-mort-1067111.html

Karl Lagerfeld est mort à l’âge de 85 ans

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